[ BILLETS SCIENTIFIQUES SUR L'ARCHITECTURE, LES CONCOURS ET LES MÉDIATIONS DE L'EXCELLENCE ]
LES PRIX DU LIVRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE D’ARCHITECTURE
Lucie Palombi, 23 février 2020
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En octobre 2019, à l’occasion des Journées Nationales de l’Architecture, l’Académie d’Architecture annonçait l’ouvrage lauréat de sa 25ème édition du Prix du Livre, et le 1er gagnant du Prix du Livre pour la jeunesse. Le Prix du Livre de l’Académie est annuel, et récompense les ouvrages d’architecture de qualité parus l’année précédente, de mai à mai.

La distinction a été créée en 1994 par l’Académie d’Architecture, sur une idée de Catherine Seyler et par Gérard Granval, qui a présidé l’institution jusqu’en 2018. En réaction au constat que la culture architecturale est trop méconnue en France malgré les tentatives de sensibilisation déployées par les institutions culturelles, la mission de ce prix est de faire connaître l’architecture en présentant des ouvrages de la discipline, quelle que soit la nature de l’écriture proposée : « L’objectif du Prix du Livre d’architecture est de valoriser toute forme de culture architecturale, qu’elle soit savante, fictionnelle, critique, sensible ou littéraire, voire engagée sur les grandes causes de l’espace architectural et urbain » (1).

Le livre est dès lors considéré comme le moyen privilégié de susciter un intérêt, un désir d’architecture, à tous les âges de la vie. À travers la mise en place du Prix du livre pour la jeunesse, la sensibilisation s’étend désormais aux plus petits. Des profils variés sont invités à participer. À en juger par cette seule condition voulant que le texte lauréat du prix offre un nouveau regard sur la discipline ou qu’il y contribue… et qu’il soit de qualité, on se prend à imaginer que les critères du concours et les rapports du jury sont de nature à informer une compréhension de la nature de l’écriture de qualité en architecture, voire de son éventuel caractère littéraire (2).

Tandis que le Prix du Livre d’architecture du Deutsches Architekturmuseum (DAM) s’appuie chaque année sur la conception du livre, la qualité de ses matériaux et de sa finition, ainsi que son niveau d’innovation pour porter un jugement (voir notre billet), le Prix du Livre de l’Académie se risque à une définition de la qualité en matière d’écriture architecturale. Le critère premier consisterait à « distinguer un ouvrage porteur d’un élan, d’une question, d’un savoir, un écrit porteur de sens au regard de l’architecture, vis-à-vis de l’histoire comme vis-à-vis de l’actualité » (3).

Dans cette même note sur les Prix du Livre d’architecture, l’organisme s’empresse d’ajouter d’autres critères, jugés plus précis : le thème et le travail d’auteur sont valorisés, bien que quelques exceptions puissent être recensées. L’écriture doit être claire, accessible et rigoureuse. L’ouvrage doit intéresser un public large et être facilement transmissible. L’édition – ou l’argument de la collection de l’ouvrage – doit être de qualité, et la lecture doit être confortable. Enfin, le critère qui concerne le Livre pour la jeunesse est situé à la fin de la même liste, et vise la qualité des illustrations, du graphisme et de la maquette (4).

Le jury se compose chaque année d’une douzaine de membres d’horizons divers. L’édition 2019 a rassemblé 13 personnalités. Les délibérations ont eu lieu le 7 octobre, hors des locaux de l’Académie, au Centre d’architecture et d’urbanisme de Lille. Ce déplacement le temps d’une session de jugement a été l’occasion pour les différents acteurs de la scène architecturale de se rencontrer. La Direction Régionale des Affaires Culturelles, la Ville de Lille, les Écoles Nationales Supérieures d’Architecture, les Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement, l’Atelier Ville, Architecture, Paysage, ainsi que les architectes correspondants de l’Académie d’Architecture dans les Hauts de France ont ainsi pu participer à la prise de décision.

Les deux prix de l’Académie ont été remis par le Ministre de la Culture, en présence du Président de l’Académie d’architecture, le 18 octobre 2019 à la Cité de l’architecture et du patrimoine de Paris. Le Prix d’architecture pour la jeunesse a recueilli 73 propositions pour son premier volet. Notons que toutes les maisons d’éditions représentées étaient françaises, et que la thématique du monde était particulièrement représentée (le mot apparaît dans 3 titres nominés sur 5). C’est l’ouvrage Habiter le monde (Éditions de La Martinière) d’Anne Jonas et Lou Rihn qui a remporté le prix pour les illustrations présentées, ainsi que « pour l’intelligence de ses textes adaptés à la jeunesse, clairs et instructifs et reliant l’architecture et les villes dans le monde à la diversité de leurs cultures » (5).

À noter qu’un Prix spécial a été attribué par le jury à Benjamin Mouton pour Sens et Renaissance du patrimoine architectural (Éditions des Cendres, Cité de l’architecture et du Patrimoine – organisme et lieu de la remise du prix), saluant « une entreprise dont on voudrait qu’elle fasse école : la publication de trente années d’enseignement sur le patrimoine » (6). L’unique Prix du livre a quant à lui récompensé l’ouvrage Rococo (Éditions Non-Standard) de François Chaslin en raison de sa « forme littéraire, originale et humoristique » qui « brosse, à travers son prisme personnel un portrait de l’environnement médiatique qui s’est enflammé autour de Le Corbusier » (7).

La valorisation par un jury de prix d’excellence du caractère littéraire d’un texte d’architecture ne garantit cependant pas qu’un livre ayant reçu un prix en littérature architecturale pourrait recevoir un prix littéraire. L’écrit architectural possède un statut ambigu, comme le soulignent Emmanuel Rubio et Yannis Tsiomis dans l’introduction de l’ouvrage L’architecte à la plume : « (…) relevant par trop de spécialisation pour ceux-ci, y échappant par trop souvent pour ceux-là… Peut-être d’ailleurs cette ambiguïté tient-elle à son origine-même. D’une certaine manière, l’écriture de l’architecte occupe toujours une place seconde : bien souvent elle accompagne le bâtiment, l’image ; à tout le moins, elle semble trouver sa légitimité dans cette autre activité – fondatrice – qui la précède et la dépasse » (8). Cette écriture qui comprend l’architecture, pour paraphraser nos deux auteurs, ne relèverait-elle pas d’une textualité de l’architecture – par comparaison avec la matérialité de l’architecture – plutôt que d’une littérature ?

Lucie Palombi