« Concours pour écoles primaires, Québec, 1964 ». En haut projet de Rosen, Caruso, Vecsei, en bas projet de Melvin Charney (voir Catalogue des Concours Canadiens).

Organisé par le gouvernement du Québec, le « concours provincial d’architecture pour les écoles primaires » fut lancé en pleine « révolution tranquille », sous le regard attentif des autorités religieuses jusqu’alors chargées de l’éducation. Les écoles traditionnelles devaient faire place à de nouvelles organisations spatiales et un vaste chantier pédagogique s’amorçait avec la publication du désormais célèbre « Rapport Parent » (1964). Ce qui est ressenti aujourd’hui comme la triste mémoire des lieux d’éducation dits « préfabriqués » n’est probablement pas ce qu’avaient prévu les organisateurs en matière de renouveau de l’architecture scolaire. Il reste que l’analyse du rapport de jury montre l’importance démesurée de deux critères qui convergeaient sur un même principe : identifier de nouveaux plans types et vérifier qu’ils pourraient accommoder l’industrialisation de la construction. 

Près de soixante années après sa parution, le « Rapport Parent » fait aujourd’hui figure de document historique, parfois désuet. Mais, au moment de sa parution, le rapport dirigé par Alphonse-Marie Parent en 5 volumes de près de 1500 pages, sera publié par la Commission royale d’enquête sur l’enseignement entre 1963 et 1964 et s’affirmera comme un jalon de la « révolution tranquille » au Québec.  On y propose, ni plus ni moins, que de créer un ministère de l’Éducation, de rendre la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, de créer des « cégep » et, de façon générale, de démocratiser l’enseignement supérieur. Autant dire que l’on passe de l’éducation religieuse à l’éducation pour tous comme l’écrira Claude Corbo, ancien recteur de l’Université du Québec à Montréal, en 2002.

C’est dans ce vaste chantier de l’éducation au Québec, que le « concours provincial d’architecture pour écoles primaires » sera organisé dès 1964. Il avait pour but de proposer des nouveaux concepts d’écoles primaires et recherchait des « plans types ». Le programme – qui apparaîtra sommaire au regard des « programmes fonctionnels et techniques » (PFT) contemporains – comprenait : douze classes, dont une de maternelle, une bibliothèque, une salle à manger, un espace de rassemblement ainsi que des vestiaires et des locaux du personnel. Le clientélisme que l’on reproche parfois aux autorités académiques était déjà inscrit à même la « liste des locaux » : « Environnement immédiat : Tenir compte des différentes clientèles : les écoliers, le corps professoral et le public en général. Prévoir que chacune de ces clientèles peut avoir accès à l’école soit à pied, soit dans des véhicules-automobiles. »

Présidé par l’architecte Jean Damphouse, le jury était composé des architectes Raymond Affleck, Jean Paul Carlhian, Alfred Roth, Victor Prus, et du « designer » (sic dans les publications) François Lamy. Soulignons que le jury ne comportait pas d’expert en éducation ou de représentant du milieu scolaire mais était composé d’un designer industriel et de cinq architectes, dont le célèbre Alfred Roth, considéré comme l’expert suisse pour avoir contribué au renouveau de l’architecture éducative dans les années 1950. Assistant de Le Corbusier puis collaborateur de Marcel Breuer, représentant du mouvement « Neues Bauen », la « nouvelle objectivité » moderniste, Alfred Roth s’établit à Zurich et travailla régulièrement avec Alvar Aalto.

Autant dire que le programme du concours « canadien » de 1964 dût lui paraître élémentaire au moderniste suisse. On demandait de tenir compte de l’environnement immédiat, sans préciser lequel, et on distinguait trois types de salles de classe selon qu’elles accueillent 30, 33 et 35 élèves. On suggérait par exemple, pour les salles de 35, qu’au cours d’une période d’enseignement, les élèves seraient appelés à utiliser trois méthodes différentes de travail : soit le travail en groupe homogène, le travail en sous-groupe pour la recherche, le travail individuel pour le perfectionnement.

Équipé d’un tel raffinement pédagogique le jury sélectionna 14 projets, selon des critères particulièrement déterministes, dont ceux de Melvin Charney, de Jean Michaud, du consortium Rosen, Caruso, Vecsei et celui du consortium Ouellet, Reeves, Guité, Alain. La description des quatorze projets et les commentaires du jury paru dans la revue Architecture-Bâtiment-Construction d’avril 1965 et si les documents graphiques imprimés en noir et blanc sont parfois difficile à lire aujourd’hui, le dualisme des commentaires du jury s’affiche clairement en deux colonnes d’énoncés lapidaires listant les « pour » et les « contre ».

Le jury soulignait ainsi, pour tel projet, que « son caractère universel s’adapte à une préfabrication possible » puisque son « plan est clair et bien discipliné », pour tel autre, qu’il « se prête à l’agrandissement » ou que « le plan est bien organisé », que le « projet se prête à des possibilités d’expansion » ou encore, que le « bon éclairage naturel des classes au moyen de lanterneaux est bien conçu ». Le projet de Melvin Charney est crédité comme une « proposition intéressante de préfabrication » dont les escaliers de secours sont qualifiés de « prétentieux ». On déplore la « différence de niveaux entre la cafétéria et la salle commune » du beau projet moderniste de St-Gelais, Tremblay et Tremblay, tandis que l’extrême raffinement du projet de Rosen, Caruso, Vecsei, subtil et savant mélange d’emprunts aux architectures de Louis Kahn et de Aldo Van Eyck, est considéré comme un « projet bien étudié dans tous ses aspects » mais dont « l’abondance des murs extérieurs et l’excès des surfaces de circulation » fait craindre un « coût élevé de la construction ».

La publication comparative des résultats du concours en avril 1965, dans la seule revue québécoise spécialisée d’alors, Architecture – Bâtiment – Construction, eut un grand impact sur l’imagination des architectes pendant plus d’une décennie, avec des résultats parfois contestables.

Il n’y eut que de rares concours dans le domaine de l’éducation au Canada dans les années 1960 et 1970, essentiellement pour des universités, et il fallut attendre la fin des années 1980 et surtout les années 1990 pour que le parc immobilier vieillissant impose de nouvelles consultations et réflexions. Celles-ci seront fortement encouragées, cette fois, par les nombreuses études, essentiellement sociologiques, menées en particulier dans les contextes suisses et français. Mais, de façon caractéristique et contrairement à l’importance des concours dédiés aux édifices scolaires dans tous les pays d’Europe, on peut s’étonner légitimement du fait que les écoles ne soient pas considérées comme des questions architecturales en Amérique du Nord.

vers la fiche du concours sur le CCC

Jean-Pierre Chupin

Brochure touristique du Rockefeller Center (2018)
« The city architect can no more afford to neglect the roofs that continually spread out below him than the country architect can afford to neglect the planting about a house. » Raymond Hood (1)

Il ne reste que trois belvédères ou plateformes d’observation au sommet des gratte-ciels de New York. Ce sont, dans l’ordre chronologique : l’Empire State Building avec son sommet en gradins, le Rockefeller Center et le World Trade Center. Le Rockefeller Center est le seul ayant reçu deux prix d’excellence, indices de la reconnaissance particulière dont il bénéficie.

La plateforme d’observation (Observation Roof) a fermé ses portes en 1986 pour rouvrir en 2005 à l’enseigne du « Top of the Rock » (le sommet du Rock). En 2006, l’Agence Gabellini et Sheppard Associates a reçu deux prix de l’American Institute of Architects : un prix pour la rénovation de l’ensemble de la promenade, du rez-de-chaussée au sommet de l’édifice et un prix récompensant la dimension patrimoniale du projet. Afin de comprendre la raison pour laquelle ce bâtiment a été deux fois primé, un regard rétrospectif sur l’histoire de cet illustre édifice, conçu par Raymond Hood et ses associés, n’est pas superflu.

Construit entre 1930 et 1939, à l’initiative de John D. Rockefeller, le Rock fut un évènement en soi pendant la Grande Dépression. Plus qu’un simple édifice, c’est une véritable « ville en vase clos ». Pour comprendre les stratégies et les tactiques qui ont modelé son image, il faut aller de haut en bas, en suivant l’expression de Harvey Wiley Corbett, pour qui il s’agissait aussi de concevoir les tours en commençant par leur sommet. La chronologie de ce texte commence donc également par la fin, retraçant les évènements qui ont donné lieu à ce que l’on désigne aujourd’hui par l’expérience du « Top of the Rock ».

Au début de l’année 2000, Tishman Speyer a lancé un concours entre deux agences pour la rénovation de sommet du Rock, remporté par Gabellini et Sheppard devant l’immense compagnie Disney World. Si cette dernière était plus réputée pour ses attractions touristiques c’est l’expertise en rénovation patrimoniale qui l’a emporté. Le jour de la présentation, Shepard a d’ailleurs choisi d’exposer les dessins au 67eme étage, au milieu des systèmes mécaniques et des conduits techniques. Un organisateur de combats de boxe avait aussi installé son « penthouse » à l’emplacement de l’actuelle « Weather Room ».

À l’étonnement général Tishman Speyer avait pourtant d’abord choisi Disney. Il fallu attendre près de six mois, pour que Rob Speyer, directeur général de la société et copropriétaire du Rockefeller Center avec la famille Crown de Chicago, revisent leur décision et couronnent Gabellini et Sheppard, rappelant si besoin était que le Rockefeller Center reste moins le symbole d’une attraction que la grandeur d’une famille.

Les dessins présentés par Gabellini et Shepard définissaient trois zones principales : le hall principal, la mezzanine et le sommet.  En voulant « faire du hall principal une destination » (2) : les niveaux inférieurs du hall des années 1930 ressemblaient à un paquebot de luxe. En organisant les entrées sur la place et dans le bâtiment, Hood avait pourtant créé un mouvement circulaire générant une action gravitant à la manière d’une toupie. En 2005, Gabellini et Shephard ont ajouté une nouvelle entrée sur la Cinquième Avenue. Ils ont aménagé les bureaux pour former un hall d’accueil, combiné à un atrium à triple hauteur. Le mouvement rythmique initial s’est transformé en une entrée d’escalier elliptique traversant d’immenses lustres en cristal, comme si le bâtiment se retournait sur lui-même.

Le principe du « numéro 27 » proposé par Hood en 1930, voulait que « le prix de la hauteur réside dans les exigences d’une circulation verticale efficace » (3). Il réduisit les cages d’ascenseur « (…) à 27 pieds du centre du bâtiment pour éliminer tous les coins sombres » (4). Il s’agissait de retrouver « (…) la forme sculpturale instinctive du bâtiment ».  C’est dans cet esprit que dans le projet de Gabellini et Sheppard, chaque cage d’ascenseur se trouve identifiée par une lumière bleue. Celle-ci est conçue comme une capsule temporelle projetée sur 65 étages à travers la cage d’ascenseur originale. (5)

Comme l’a souligné Daniel Okrent : « Le toit était incontestablement une entreprise commerciale” » (6). Hood l’avait bien identifié comme l’un des éléments principaux de la conception de la ville idéale. Mais un autre aspect crucial du projet initial consistait dans la création de points de vue. Si les toitures du bâtiment achevé en 1933 ressemblaient à un paquebot, la notion de « promenade » était plus que suggérée. En 2005, la nouvelle conception du sommet s’appuiera de fait sur différents appareils d’optique : les cadres fragmentés entre les sections extérieures et intérieures formant de « grandes terrasses panoramiques ». La façade d’origine du bâtiment se trouve désormais protégée par de grands panneaux en verre transparent.

En tant qu’urbanisme hédoniste de la congestion (7), ce gratte-ciel a contribué à deux importantes transformations : d’une part, en introduisant une forme qui, selon Carol Willis, va briser le moule encore frais des gratte-ciels du Chrysler et de l’Empire State Building. D’autre part en offrant une expérience de loisir doublée d’un propos éducatif. Le « Top of the Rock » ne se limite pas à un point d’observation entouré de barres de métal, comme le sommet de l’Empire State Building, ni littéralement enclos comme le World Trade Center. C’est un phare rehaussé, orné de cristaux cherchant à refléter le ciel. Sa position permet de découvrir Central Park et offre une vue unique sur les sommets environnants des gratte-ciels de Manhattan. Si, en 1939 et donc en pleine Dépression, plus de 1,3 million de visiteurs se rendirent sur la plateforme d’observation, plus de deux millions de visiteurs ont accédé au « Top of the Rock » en 2019.

Les multiples paramètres et variables de l’équation économique peuvent sans doute stimuler certaines décisions de conception et modifier la forme des édifices, mais l’excellence n’est pas une question de budget et d’attractivité touristique, comme le soutenait la proposition de Disney. Elle serait plutôt question de culture et d’expérience du skyline, comme en témoigne le projet actuel. La préservation du patrimoine et des monuments reste une priorité essentielle, même lorsque les changements sont minimes ou, comme Kimberly Sheppard l’a très bien résumé, un seul changement, même modeste, mérite un prix dans un tel contexte. (8)

Et en 1939, quand Hugh Ferriss se reposa au petit matin, sur un des parapets du Rock, il put enfin admirer sa « métropole du futur », celle de 1929, s’élever sur l’horizon. (9)

Mandana Bafghinia

  • 1) Raymond Hood, personal writings, quoted by Alan Balfour in Rockefeller Center: Architecture as Theater. New York; Montréal: McGraw-Hill, 1978. p. 49.
  • 2) Daniel Okrent. Great Fortune: The Epic of Rockefeller Center. Penguin Books, 2004, p. 354.
  • 3) Carol Willis. Form Follows Finance: Skyscrapers and Skylines in New York and Chicago. New York: Princeton Architectural Press, 1995, p. 102.
  • 4) Daniel Okrent. Great Fortune, 357.
  • 5) Gabellini and Sheppard Associates. AIA New York State Convention. Grand Hyatt, New York, October 6, 2007.
  • 6) Daniel Okrent. Great Fortune, p. 354
  • 7) Rem Koolhaas. Delirious New York: A Retroactive Manifesto for Manhattan. New York: Oxford University Press, 1978.
  • 8) Interview with Kimberly Sheppard. 19/02/2019
  • 9) Hugh Ferris. The Metropolis of Tomorrow. New York: Ives Washburn, 1929.

Le concours pour l’Hôtel de ville de Toronto a été remporté en 1958 par Viljo Revell (À gauche la maquette du concours, à droite une photo de l’auteur prise en 2015)

Le Centre des visiteurs de Fort York fruit d’un concours remporté en 2009 par Patkau Architects et Kearns Mancini Architects (En haut, un modèle numérique du concours, en bas une photo de l’auteur prise en 2015)

Devrait-on mesurer l’écart entre la promesse de l’image produite lors du concours à partir d’une maquette physique ou d’un modèle numérique et une photographie de l’édifice prise sous des angles similaires plusieurs années après ? Autrement dit : À quel point l’édifice construit devrait-il ressembler à la maquette qui en a anticipé l’aspect ?

Chaque maquette est un « modèle réduit » rappelle le Dictionnaire historique de la langue française, tandis que chaque modèle est lui-même une « figure à reproduire » (1). Au croisement de ces deux principes, la maquette d’architecture devrait être « une architecture réduite à reproduire » selon des degrés de fidélité variables. Un concepteur est toujours plus ou moins averti de la distance qui sépare ces représentations de la réalité bâtie escomptée. En revanche, dans les situations de concours, la maquette est aussi un outil d’explication du projet voire d’un argument pour emporter l’adhésion du jury, lequel n’est pas nécessairement préparé à considérer ces artefacts avec la même distance critique que leurs concepteurs.

Pour mesurer l’écart entre les maquettes de concours et les photographies bâtiments qu’elles représentaient à l’origine, il est éclairant de comparer deux projets lauréats de concours réalisés à 60 ans d’intervalle à Toronto : d’autant que ces édifices ont été respectivement récompensés de prix d’excellence confirmant ainsi leur valeur exemplaire propre à en faire des « modèles ».

Le concours pour l’Hôtel de ville (Toronto City Hall) a été remporté en 1958 par Viljo Revell, tandis que le bâtiment a de nouveau remporté un Landmark Awards de l’Ontario Association of Architects (OAA) en 1998. Le Centre des visiteurs de Fort York (Fort York Visitor Center), fruit d’un concours remporté en 2009 par Patkau Architects et Kearns Mancini Architects, a rapidement été récompensé du Canadian Architect Award Of Excellence en 2011, suivi quelques années plus tard d’un City Of Toronto Urban Design Award et d’une Honorable Mention For Design Excellence de l’Ontario Association of Architects en 2015, juste avant sa consécration par une Médaille du Gouverneur général en 2018.

Les maquettes de l’Hôtel de ville de Toronto réalisées lors de la seconde étape du concours étaient exigées pour l’ensemble des concurrents : et l’on connait ces célèbres images montrant des centaines de maquettes soigneusement rangées sur d’immenses tables afin que le jury puisse les examiner. Si la photo de la maquette de concours ressemble au projet construit que nous avons photographié en 2015, plusieurs différences sont à souligner. Le nombre des arches face à la tour est passé de 3 à 5 et leurs formes ont été simplifiées. Elles ont aussi coulissé vers l’est du plan d’eau, lequel a été réduit de moitié. Le découpage des étages de l’édifice principal, parfaitement régulier sur les photographies de maquette fait place à des paliers intermédiaires et finaux plus larges. Enfin, les pignons des deux tours sont moins vitrés que ce que montrait la maquette et donc le projet à l’étape du concours. Ces différences apparaissent minimes lorsque l’on rappelle que cette maquette a été produite 7 ans avant l’inauguration du bâtiment en 1965.

Le modèle produit par l’équipe lauréate lors du concours du Fort York Visitor Center, ne se livre qu’à travers les images numériques qu’il a permis de produire. Si ces dernières cherchent à anticiper la représentation photographique poursuivant des objectifs similaires à la photographie de la maquette physique effectuée dans le cadre du concours de l’hôtel de ville, il faut garder à l’esprit que ces images ont certainement fait l’objet de multiples retouches. Outre l’absence de public et l’herbe défraîchie témoins banals de la réalité, la photographie du bâtiment en 2015 apparaît également très similaire à l’image de synthèse produite à partir d’une modélisation numérique à l’occasion du concours. Le volume translucide, en toiture, paraît plus haut sur l’image qu’il ne le sera finalement, tandis que les vitrages semblent moins transparents qu’annoncé par la perspective : l’écart entre les deux images du projet est faible. La taille de certaines ouvertures a quelque peu changé et le nombre de panneaux en acier corten a été modifié en conséquence, mais le projet promis est très proche de l’édifice qui sera finalement livré 5 ans plus tard, en 2014.

A travers ces comparaisons sommaires, il apparaît que le changement de support des maquettes, c’est-à-dire, de la nature même des modèles architecturaux ne semble pas nécessairement modifier la distance qui sépare l’objet du bâtiment qu’il représente : les deux cas évoqués admettant des similitudes et différences du même ordre. Bien que la comparaison sommaire de ces deux projets ne saurait nourrir une quelconque généralisation, les modèles permettent effectivement d’anticiper la réalisation et cela laisse peu de doutes sur l’objectif de ces médiations qui méritent effectivement toutes deux l’appellation « d’architecture réduite à reproduire ».

On pourra objecter que la similitude observée dans ces confrontations diachronique de vues perspectives constitue en soi une exception et que peu de bâtiments peuvent se targuer d’être toujours aussi proche du projet initial. Néanmoins, force est de constater que ces deux édifices dont l’excellence architecturale a été reconnue ont reproduit le même exploit à 60 ans d’intervalle. On peut se demander si cette proximité constitue l’une des marques de l’excellence architecturale ? Dès lors, un bon projet, conformément à son étymologie, serait un bâtiment qui aurait été justement « jeté en avant » par son modèle, c’est-à-dire parfaitement anticipé.

A la différence des maquettes de conception, d’ingénierie ou d’exposition qui pourraient être respectivement être nommées modèles exploratoires, modèles prédictifs et modèle descriptifs, les maquettes de concours, qu’elles soient virtuelles ou physiques, sont les véritables modèles de projet (2) à disposition des architectes. Paradoxalement, en confondant ces derniers, ils sont souvent ceux qui font mentir leurs propres modèles.

Aurélien Catros

(1) – Rey, Alain. (Éd.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1998.

(2) -Ce que Marcial Echenique nommait dans les années 1970 des « planning models ».  Echenique, Marcial, Models: A Discussion, Cambridge, University of Cambridge, 1968.

Jury du concours du Plateau Beaubourg, 1971. De gauche à droite : Oscar Niemeyer, Frank Francis, Jean Prouvé, Emile Aillaud, Philip Johnson, et Willem Sandbergar

Un argument favori des opposants les plus farouches aux concours d’architecture repose sur l’importance de la relation d’écoute, voire de connivence, entre les architectes et leurs clients. Les concours auraient pour effet néfaste de s’interposer, empêchant la recherche d’un équilibre entre les attentes des uns et les propositions des autres. Dans cette représentation de la démarche – pourtant démentie par la longue histoire des concours – le client serait en définitive largement absent.

Cette représentation, récurrente, mais biaisée, feint d’oublier que les interventions des clients jalonnent le processus : avant, pendant, après le concours. Avant, parce qu’il revient bien au client de formuler les termes d’une commande sous la forme d’un programme et de critères de qualité. Pendant, parce qu’il se trouve certainement des représentants du client dans le jury; nous y reviendrons. Après, parce que l’on peut aussi considérer qu’il lui revient légalement d’accepter ou de refuser le résultat : cette règle étant clairement inscrite en bonne place dans la majorité des règlements de concours.

L’énumération des représentations du client dans un concours est pourtant éloquente : le conseiller professionnel, la qualité des documents de concours, les membres du jury, les divers comités, les dispositifs de présentation publique, etc. On peut commencer par le conseiller professionnel, lequel peut effectuer toutes les actions nécessaires au nom du client, mais peut aussi limiter sa prestation à un service professionnel à son seul mandataire, au détriment de l’intérêt public. Prenons un exemple. La bibliothécaire en chef peut-elle être se considérer comme la seule cliente d’un concours pour une nouvelle bibliothèque publique? En toute logique citoyenne et démocratique, l’usager lambda de la bibliothèque, tout comme la ministre de la Culture seraient deux représentants tout aussi légitimes du client de la bibliothèque publique.

Dans cet enchevêtrement de responsabilités, typiques des espaces et des lieux publics, le client ne saurait être cantonné à l’une, ou à l’autre des extrémités de la chaîne décisionnelle et, paradoxalement, tous les membres des équipes en concours peuvent aussi se considérer comme des clients potentiels de l’édifice public à l’étude. C’est bien une capacité à anticiper les besoins – à comprendre les attentes des usagers – qui se profile derrière toute forme d’empathie architecturale.

Mais dans les faits, comme en théorie, l’entité qui se trouve au point nodal du principe même du concours, celle qui a non seulement le droit, mais le devoir de se comporter comme un client potentiel est tout simplement le « jury du concours ».

Il est étonnant de devoir rappeler à certains organisateurs, tant publics que privés, que le jury est par définition le représentant du public et que ce même jury doit être constitué pour justement incarner l’ensemble des représentations du client. Le jury est ce « client temporaire » auquel les équipes de conception soumettent leurs projets, en espérant que ce processus de jugement qualitatif collectif sera le plus équitable et représentatif possible de tous les intérêts en jeu. En d’autres termes, le jury est l’incarnation la plus proche d’un modèle idéal de l’entité complexe « client » d’un concours pour un édifice public.

Cela étant entendu, constituer un jury avec des élus est aussi risqué que d’introduire une ou un architecte dont le renom risque de mobiliser ou d’inhiber les débats. Il faudrait même systématiquement éviter que les élus, pourtant représentants légitimes du public, s’invitent et s’imposent dans un jury de concours : empêchant par leur représentativité apparemment indiscutable toute discussion et donc tout jugement collectif (1). En règle générale, les jurys sont composés de représentants de l’intérêt public, mais certaines règles de la concurrence considèrent que ni les élus ni les fonctionnaires ne devraient agir comme membre d’un jury, car ils peuvent être subordonnés aux intérêts politiques ou administratifs oubliant les besoins du grand public. L’histoire des concours est un mouvement lent et continu vers la reconnaissance démocratique de l’intérêt public : de la même manière que l’histoire d’Internet reflète les tensions entre communication transparente et propagande manipulatrice.

Dans une base de données de concours telle que le Catalogue des Concours Canadiens, la structure ontologique du programme informatique distingue plusieurs entités sous-jacentes au concept « individu ». On distingue par exemple le gestionnaire de projet, le mandataire, le conseiller professionnel, les membres du jury, les concepteurs, etc., mais dans cette liste on ne trouvera pas l’entité « client », en tant que tel pour toutes les raisons développées jusqu’à présent, car la logique d’un système informatique s’accommode mal des entités multiples.

Cette réflexion qui pourra paraître théorique ne signifie pas que les clients qui choisissent le processus du concours pour réaliser leurs projets reconnaissent aisément qu’ils participent à une entreprise collective : encore moins à la production de connaissances en architecturale. Ils leur arrivent parfois de considérer les concours comme un moyen de communiquer avec le grand public et il aujourd’hui fréquent de rencontrer des situations dans lesquelles un nouveau représentant du client, appelé « conseiller en communication », s’insinuera dans la chaine décisionnelle pour contrôler le message, bloquant parfois la diffusion des projets soumis, hormis le lauréat. Ce changement dans la manière dont les clients gèrent les concours est problématique, puisqu’un processus imaginé pour préserver la représentativité du public, comme la transparence, se transforme de nouveau en boîte noire (2). L’accessibilité à la compréhension publique d’un concours devient impossible lorsque les chargés de communication – des clients autant que des concepteurs – s’attachent à retenir l’information.

À l’heure où les informations – les vraisemblables comme les plus fausses – nous parviennent en temps réel, ce sont précisément ces caractères de transparence, de débat collectif et d’équité du concours qui déterminent sa capacité à accueillir l’ensemble des intérêts et des représentants du client.

Reste à savoir si ces intérêts sont mieux représentés dans un appel d’offres, là où le client se cache derrière les colonnes chiffrées – sans doute rassurantes –  des plus et des moins : le « moins-disant » étant, dans le cas d’un appel d’offres, le véritable nom du client.

Jean-Pierre Chupin

Notes :

  • (1) Pour rendre cela encore plus clair, et pour utiliser un cas extrême, il n’est pas rare de voir un client privé souhaitant lancer un concours s’étonner de ne pas être le seul membre habilité à juger des projets, comme il n’est pas rare de rencontrer certains élus se considérer comme les seuls représentants légitimes du public. Le poids du président français François Mitterand, dans le jugement discutable de certains grands concours des années 1980 à Paris, est désormais bien documenté et analysé depuis les célèbres critiques de François Chaslin (Les Paris de François Mitterrand : Histoire des grands projets architecturaux, Gallimard, Paris, 1985) jusqu’à l’ouvrage de Laurence Cossé sur La Grande Arche (Gallimard, Paris, 2016), doublement couronné du prix du Livre d’architecture et du prix François-Mauriac en 2016, sans oublier certaines thèses doctorales remarquablement documentées tel que celle de Loïse Lenne : « Le temps de l’évènement architectural. Fabrication et mise en scène de tours de bureaux et leurs quartiers : la City, la Défense, Francfort ». Thèse dirigée par Antoine Picon et Pierre Chabard, soutenue en juillet 2015, Université Paris-Est.
  • (2) Comme l’explique Emmanuel Caille, rédacteur en chef du journal français D’A (D’Architectures), dans un numéro spécial consacré aux concours que nous avions dirigé avec lui en avril 2013, les concours sont parfois perçus comme un élément essentiel des stratégies de communication des villes. (https://www.darchitectures.com/que-savons-nous-des-concours-a1158.html consulté le 26 octobre 2019.

« Sisyphe » par Tiziano Vecellio dit Titien 1548-1549 Madrid. Museo del Prado.

Dans une série de billets inaugurant le programme de la Chaire de recherche du Canada en architecture, concours et médiations de l’excellence (CRC-ACME), nous exposerons en quelques traits – qu’il s’agisse de 1000 mots ou d’une simple image et de sa légende – les principaux termes de nos activités de recherche pour les prochaines années. Puisque nous avons déjà consacré plusieurs textes à la question des concours (1), il semble approprié, pour ce premier billet, de contribuer à une définition des médiations de l’excellence : expression désignant essentiellement le phénomène des prix, constitué à la fois de l’ensemble des édifices primés et de tous les acteurs du phénomène. Mais quels sont ces agents de la médiation?

Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) résume l’excellence au « caractère de la chose ou de la personne qui correspond, presque parfaitement, à la représentation idéale de sa nature, de sa fonction ou qui manifeste une très nette supériorité dans tel ou tel domaine » (2). Autant dire que l’excellence – en architecture comme dans tous les domaines – est un idéal, un objectif, un horizon et non un point d’arrivée. Par contre, le CNRTL offre un résumé lapidaire de la médiation qui ne serait que le « fait de servir d’intermédiaire entre deux ou plusieurs choses » (3). À ce compte, tout serait potentiellement une médiation. Trop court, puisqu’il nous faudra distinguer, par exemple, les médiations en architecture des médiations en art.

Dans « L’art à l’épreuve de ses médiations », la sociologue Nathalie Heinich (5) nous rappelle qu’entre l’artiste et le spectateur, ou entre le texte et le lecteur, le jeu opère non pas à deux, mais à trois. Et les intermédiaires sont aussi divers que nombreux : commissaires, conservateurs, critiques, enseignants, philosophes, galeristes, marchands, assureurs, etc. Sans oublier toutes ces interfaces de médiation que constituent les revues, expositions, documentaires, monographies, etc. La définition de la médiation subit toutefois les aléas de l’histoire, puisqu’une étude sur les médiations architecturales en France dans les années 1980, publiée en 2000, insistait plutôt sur le rôle de la critique comme « première instance de jugement » (4) : rôle qui ne se confirme pas avec la même acuité dans tous les contextes, ni particulièrement dans le contexte canadien.

Si les édifices primés constituent des médiations de l’excellence (par excellence), on imagine que le phénomène commence bien avant la conception du projet, se poursuit avec la remise d’un prix, sans pour autant se clore avec la cérémonie. Les édifices primés, prix après prix, année après année, peuvent être considérés comme des éléments de réponse à une redéfinition constante de l’excellence, mais l’édifice qui aurait reçu le plus grand nombre de distinctions en 2019 ne pourrait prétendre se poser en définition absolue de l’excellence en 2020. L’architecture est bien une discipline historique et si tout édifice primé pointe en direction de l’excellence, il n’est qu’une étape dans une quête sans fin (pensons au mythe de Sisyphe).

Typhaine Moogin, dans une thèse de doctorat soutenue à Bruxelles en septembre 2019, s’est consacrée à l’étude des prix en plongeant « Dans la Médiation des prix » (5). Tout en renvoyant à l’ouvrage d’Antoine Hennion sur la « Passion musicale » (7), Moogin déploie une « réflexion sur les conditions de production d’un monde architectural » (8). Adoptant le pragmatisme sociologique d’Antoine Hennion, elle propose de redéfinir la médiation architecturale moins comme un dispositif que comme un espace : « Dans la mesure ou une distinction n’est pas tant une œuvre incarnant des idées architecturales, un instrument de domination d’une institution ou encore une marque de consécration des architectes, mais l’association – complexe et délicate – de tous ces éléments et d’autres choses encore : un espace particulier d’un réseau plus vaste encore qui – des objets et des savoirs aux personnes et à leur espace social – constitue l’architecture » (9).

Le programme de la CRC-ACME, en proposant de documenter, de revisiter et d’analyser les édifices primés au Canada – que ce soit pendant la prochaine décennie ou bien en remontant dans le temps –  vise à mieux comprendre, comme à mieux faire connaître, ces grands indicateurs de la plus haute qualité architecturale incarnées par les meilleures pratiques en architecture, urbanisme, architecture de paysage ou encore en design d’intérieur (best practices). Seul un grand réseau de chercheur pourra mener à bien une telle entreprise de connaissance.

Le CNRTL mentionne un usage insolite du vocable médiation, dans un domaine, l’astrologie, qu’un programme de recherche devrait sans doute hésiter à convoquer. En astrologie, le « midi » ou « médiation » serait le « moment de culmination d’un astre ». On lui préfèrera un terme en usage en médecine, en psychologie ou en philosophie : l’acmé. Synonyme de l’apogée, du point culminant, il peut désigner le point critique d’une maladie, ou le plus haut degré d’influence d’une théorie. Il nous intéressera d’autant plus qu’il forme l’acronyme ACME ou « architecture, concours et médiations de l’excellence ». Ce qui ne dit pas que la recherche de l’excellence serait une pathologie, mais certainement une habitude à encourager très tôt dans la formation des architectes.

Jean-Pierre Chupin, 8 octobre 2019.

Notes :

  • (1) Chupin, Jean-Pierre, Cucuzzella, Carmela and Bechara Helal (Edited by), Architecture Competitions and the Production of Culture, Quality and Knowledge (An International Inquiry), Montréal, Potential Architecture Books, 2015. (ISBN 978-0-9921317-0-8). http://potentialarchitecturebooks.com/pac001/
  • (2) Voir https://www.cnrtl.fr/definition/excellence  (page consultée le 6 octobre 2019).
  • (3) Voir https://www.cnrtl.fr/definition/médiations (page consultée le 6 octobre 2019).
  • (4) Devillard, Valérie, Architecture et communication : les médiations architecturales dans les années 80, L.G.D.J. Éditions Panthéon-Assas, Paris, 2000. p. 279.
  • (5) Moogin, Typhaine, Dans la médiation des prix. Réflexion sur les conditions de production d’un monde architectural, thèse soutenue à l’Université Libre de Bruxelles (Faculté d’architecture La Cambre-Horta) le vendredi 13 septembre 2019.
  • (6) Heinich, Nathalie, Faire voir. L’art à l’épreuve de ses médiations, Les impressions nouvelles, Bruxelles, 2009.
  • (7) Hennion, Antoine, La passion musicale. Une sociologie de la médiation, Métailié, Paris (1993).
  • (8) Moogin, Ibid.
  • (9) Moogin, Ibid. p. 74.